S02. Episode #7 : La vérité sur le voyage à moto

Vagabonder de pays en pays, passer des frontières en un claquement de doigt, être 24/7 heureux et souriant, rencontrer des personnes géniales en permanence, découvrir des lieux incroyables tous les jours, acheter des souvenirs pas chers, goûter toutes les délicieuses spécialités culinaires d’une autre culture. C’est cela la magie du voyage dont tout le monde rêve ! Le rêve n’est qu’une partie du voyage. Il est notre raison de jeter quelques affaires dans un sac à dos et prendre les voiles, de se couper un bras pour acheter le billet d’avion et aller jouer les explorateurs de société à l’autre bout du monde. Il est le moteur indispensable à toute évasion. Mais dans la réalité, tout n’est pas si idyllique. Un quotidien reste un quotidien, et que l’on soit à la maison ou en balade dans des contrées exotiques, nos préoccupations journalières demeurent : manger dormir et s’occuper.

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Voyager en moto, c’est le même principe mais en pire, car le rêve est plus intense. Pour mettre un peu de piment dans mes aventures, je me suis procuré 2 roues. Et quelles roues ! Elles étaient belles, rapides, efficaces, fiables (la plupart du temps). J’ai rêvassé dans mon casque, apprécié les sensations de l’aventure libre et ouverte à toutes les idées de destinations, roulé aux 4 vents sans savoir où j’allais atterrir au bout de ce sentier : le tableau était parfait 🙂 et je l’ai bien arpenté. 3 mois, 3 pays, 10000km. Voilà les chiffres ; la qualité et l’intensité du voyage sont inexprimables. Toutes les options étaient possibles, le panel entier de choix m’était permis, le résultat de ma journée ne dépendait que de ma propre volonté : j’étais libre grâce aux moyens dont je disposais, mais j’étais surtout responsable des fins pour lesquelles j’allais utiliser ces moyens.

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Ces considérations m’ont fait prendre conscience que voyager en moto n’est pas toujours tout rose… J’ai passé des journées à courir les garages, ateliers, vendeurs, revendeurs, magasins de moto, casses pour une pièce minuscule (pour ne pas dire ridicule) mais indispensable, j’ai retourné des zones industrielles entières pour trouver la bonne personne qui pourrait réviser un petit bug sur mon moteur (dans certaines villes, je connais mieux la zone que le centre), j’avais les mains noires pendant 6 jours lorsque je graissais ma chaîne (tout en sachant que je devais la graisser toutes les semaines…), j’ai passé des heures à expliquer ce que je cherchais à des personnes qui ne comprenaient pas (ou ne voulaient pas comprendre) un traître mot de ce que je racontais, alors j’ai appris une liste longue comme mon bras de vocabulaire mécanique en espagnol, je suis tombée, on m’a regardée, ramassée, je me suis relevée, parfois toute seule, je suis tombée en rade au milieu de nulle part, je n’ai pas pu redémarrer à ce péage bolivien à cause d’un faux contact sur la batterie, les gens m’ont regardé mais pas aidée, alors la 2ème enclenchée je me suis élancée dans la descente devant moi et ai démarré au forceps, j’ai écouté et réécouté les mêmes chansons jusqu’à les connaître par cœur, je me suis arrêtée à des endroits improbables pour jouer un peu de trompette, mais ensuite je devais attacher, détacher, retourner, refaire, réatteler, repositionner et repousser mes sacs trop remplis qui me glissaient dans le dos, j’ai joué mille fois à deviner combien de kilomètres il y aurait entre ici et la prochaine colline jusqu’à avoir un vrai compas dans l’œil, j’ai passé des douanes et des contrôles de police, retrouvée face à des fonctionnaires suspicieux et interloqués qui s’interrogeaient sur mes réelles intentions : « Pourquoi une européenne blonde viendrait se paumer ici toute seule en moto ? C’est une idée tellement étrange qu’il doit y avoir anguille sous roche ! » Face à l’incompréhension de ces messieurs enfermés par leurs habitudes et rongés par la routine, comment puis-je leur parler de cette liberté qui m’anime ? J’ai mangé de la poussière, affronté des 48 tonnes déboulant à fond dans les virages, transpiré dans mes fringues de moto trop chaudes, et puis grelotté de froid en altitude frisant l’hypothermie, j’ai ragé parce que je ne trouvais pas mon chemin, me suis sentie perdue, menacée par des nuages noirs épais, expulsée par des rafales de vent, poursuivie quotidiennement par des chiens enragés qui s’égosillaient les cordes vocales en aboyant sur mes roues, convoitée par des curieux qui aimaient bien ma moto, mal à l’aise sur des longs chemins de cailloux qui démontaient la moto, et furieuse contre ceux qui fanfaronnaient de dire qu’une moto passe partout et que le motard qui ne prend pas ces chemins n’est pas un motard. « Mais nous ne vivons pas les mêmes choses, Monsieur ! Moi, je brave déjà les suspicions, étonnements face à la motarde, angoisses et adrénalines de voyageuse. Pourquoi devrais-je m’infliger de prendre les chemins les plus cabossés ? »

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Voyager en moto, c’est comme piloter un avion : c’est un engin merveilleux duquel on pourra vivre des moments sensationnels depuis la plus belle terrasse du monde, mais notre responsabilité est de tout contrôler et tout anticiper. Ma merveille à moi était de pouvoir m’ébahir en haut de la côte en découvrant l’étalage de collines toutes roses sous mon nez, m’arrêter pour contempler une Nature dont je ne connaissais pas les traits auparavant : forte, grande, immense, impressionnante, parfois écrasante, défiler devant des armées d’arbres, d’arbustes, puis une mer déchaînée, puis une mer de sable, puis des vallées vertigineuses, m’endormir fière de mes exploits de la journée, ressortir d’un musée et être heureuse d’avoir appris quelque chose de nouveau, et rencontrer des personnes chaleureuses et généreuses, chez qui je suscitais la curiosité mais aussi la gentillesse, l’aide, l’hospitalité et la complicité.

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Toutes mes petites galères ont fini par se transformer en anecdotes. Et je ne regrette en rien ces mises à l’épreuve ! Je me dis simplement que tout a un prix, relever des défis y compris.

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10 réflexions sur “S02. Episode #7 : La vérité sur le voyage à moto

  1. f et jp remiet

    Toutes nos félicitations pour ton acharnement a réaliser ton rêve, voir ton objectif.
    C’est toujours avec plaisir que nous suivons tes récits.
    Bon courage pour la suite de ton voyage.
    Bises.

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  2. Luc

    L’introspection sur ton voyage à moto est formidable,elle boucle en quelque sorte ton périple sud américain .Tu as saisi le sens du voyage à moto avec ses pleurs et ses joies, te voilà maintenant « Motarde ».
    Mais bien au-delà ,au fil de la lecture de tes récits d’aventure, je sens que ce voyage t’a grandie…
    Bravo.

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  3. Leslie

    Ahh merci ! Super article Lizou ! Je suis contente que tu raconte ce voyage avec lucidité. Car on ne voit que trop peu les aspects ‘négatifs’ et les aléas du voyage, que ce soit sur les réseaux sociaux à travers des super paysages qui font rêver et suscitent de l’envie (voire même de la jalousie pour certains), ou dans des documentaires, blog, Vlog ou livres… Pour beaucoup voyage = vacances (=tranquilou). Que ce soit des vacances, ce n’est pas faux, mais pour avoir voyagé moi-même 1 an dans un van, je sais que les galères occupent quand même une grande partie du voyage! Et souvent d’ailleurs quand on m’appelait, la phrase d’accroche était : « Alors la vie est belle? » (Comment ne pas être furieuse?!). Ceci dit, comme tu l’as évoqué, le rêve fait quand même parti du voyage, et heureusement sinon tout le monde reste chez soi! Les paysages à couper le souffle, la sensation de liberté, les rencontres… Merci de nous avoir fait rêver à travers ton récit (digne d’un roman que tout le monde s’arrache!), avec en plus toujours ces petites notes culturelles qui font du bien 🙂
    Bisous cousine !

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    1. merci ma Leslou pour ton commentaire et ton témoignage ! Effectivement, dans cet article je voulais modérer le caractère merveilleux des voyages, et expliquer que le voyage est un tout : c’est un rêve magnifique, mais il faut s’en donner les moyens et assumer tous ses aspects tout au long du séjour. et c’est d’ailleurs souvent de cette partie du voyage qu’on en retient beaucoup d’apprentissages, etc. J’ai hâte de te retrouver pour en discuter de vive voix 😀 gros bisous petit caillou ❤

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    1. 😀 bravo ! le vélo c’est encore plus méritant je crois.. J’ai croisé un cycliste déter au milieu de la route australe au Chili, un jour de grosse pluie / vent / froid .. il avait un sourire large jusqu’aux oreilles ! J’ai trouvé ça admirable ! Amuse toi bien 🙂

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    1. Merciii pour le petit mot 🙂 c’était une véritable aventure de A à Z, laissant la spontanéité décider de mon sort. Maintenant, rentrée en France, j’ai envie de vivre cette même sensation au quotidien.. vivre l’aventure là où je passe, et où je vis !
      Ride safe !

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